La Cave Perdue porte le nom d’un caveau voûté en pierre de taille qui a abrité les débuts de ses membres sur les planches, lorsqu’ils se formaient à l’Ecole de Théâtre du Centre Culturel Neuchâtelois (CCN). En 2005, douze diplômés[1] décident de poursuivre l’aventure en fondant une troupe. Leur philosophie sera d’explorer à chaque fois un univers totalement différent, tant au niveau des textes que des mises en scènes. Les maîtres mots seront l’esprit de découverte allié à un travail exigeant.

Le choix des textes est à chaque fois guidé par les envies des comédiens, privilégiant des pièces à même de correspondre au nombre de participants et qui suscitent l’intérêt de chacun dès la première lecture. Chaque spectacle présente ainsi une piste nouvelle, du rire aux larmes, de l’absurdité au réalisme, du voyage des mots au voyage des corps. Et chaque projet sera imprégné du regard du metteur en scène, avec l’accent, l’un sur le verbe, l’autre sur le travail corporel ou encore sur l’intériorité.

Première traversée > lire

La Cave Perdue confie sa première mise en scène à Stéphanie Mury. Tous les participants sont amateurs, et progressent ensemble dans la construction de la troupe aussi bien que dans celle du spectacle. Salle de répétition, financement, statuts, création des décors et de tout le reste : l’aventure implique une multitude de tâches et un engagement collectif intense. Elle embarque les comédiens dans une traversée à l’image de celle qu’ils raconteront dans le spectacle : tumultueuse, pleine d’imprévus et d’émotions qui soudent le groupe.

« Transport de femmes » de Steve Gooch relate un convoi maritime. A la fin du 18e siècle, une centaine de femmes condamnées à de lourdes peines pour des délits mineurs sont déportées au bagne britannique d'Australie. A la merci de l’océan, de la maladie, et des mauvais traitements, six femmes confinées dans une cellule apprennent à se connaître. Elles confrontent leurs différences au travers de dialogues acérés. L’oppression les divise d’abord, mais au fil du temps, face à l’injustice, une forme de fraternité les unit dans la lutte pour la survie.

Roberto Betti, directeur du Théâtre Pommier à Neuchâtel, accorde sa confiance à la troupe en l’accueillant pour ses premières représentations, qui sont suivies d’une reprise à la Tarentule à Saint-Aubin. Le spectacle rencontre un vif succès. La compagnie reçoit les félicitations chaleureuses d’un public dense, ce qui la remplit d’entrain pour préparer son prochain spectacle.

Une anti-pièce > lire

En 2006, La Cave Perdue est représentée par six comédiens[2] qui plongeront dans le monde absurde d’Eugène Ionesco avec « La Cantatrice Chauve ». Ils font appel à la metteuse en scène, auteure et comédienne professionnelle Isabelle Bonillo, pour une collaboration axée sur le travail sur la vivacité du corps, l’imaginaire, l’initiative et la spontanéité.

Illogique, poétique et burlesque: tel est l’univers de Ionesco. Théâtre d’aventure, il viole constamment la règle du jeu. La pièce démonte les conventions scéniques accumulées par l’histoire, peut-être pour revenir à l’essentiel du théâtre. Un couple d’Anglais intemporel, leur bonne anglaise, un couple d’amis anglais et un pompier…anglais. Un sommet de propos convenus et d’idées toutes faites. Mais le monde quotidien se dérègle : le temps, que malmène une pendule en folie ; l’espace, dans lequel les personnages ne parviennent plus à se situer ; le langage surtout, qui se révèle incapable de remplir sa fonction. La pièce reflète la tragédie de l’incommunicabilité entre les êtres enfermés dans les conventions, réduits à de purs automatismes, piégés par leurs mots devenus stériles. Le comique étrange et déroutant de la pièce tourne au vertige.

La Cave Perdue joue à nouveau au Pommier et à la Tarentule, puis découvre les planches du Carré Noir à Bienne.

Repousser les limites > lire

La saison suivante de La Cave Perdue débute avec neuf comédiens[3]. La troupe confie la mise en scène à Yann Perrin, comédien professionnel et enseignant à l’Ecole de théâtre du CCN, où il a guidé leurs premiers pas sur scène. Ils le choisissent pour son travail d’orfèvre, ils savent que sa rigueur les poussera dans leurs derniers retranchements. Un peu par défi, il leur fait lire « Penthésilée » de Heinrich von Kleist, un chef-d’œuvre du romantisme allemand qui lui tient à cœur depuis longtemps. C’est le coup de foudre. Comme les protagonistes de la pièce, les comédiens font fi du danger et s’y élancent avec passion.

Dans une langue étincelante, la pièce illustre le duel amoureux, rencontre corps à corps du désir et de la pulsion de mort. Dans les environs de Troie, les Grecs d’Achille affrontent les Amazones, vierges guerrières de la reine Penthésilée. Autour d’eux, les figures du mythe: Prothoé, Méroé, Astérie et la Grande Prêtresse - Ulysse, Diomède, Antiloque. Coup de foudre: au milieu des cris barbares, dans l’ivresse du sang versé, Achille et Penthésilée s’aiment. Les personnages de Kleist marchent sur la braise, leurs paroles écument comme la lave d’un volcan, dans l’urgence de leurs instincts incandescents. Ce qui fait la troublante actualité de ce texte: l’ambivalence de ce champ de bataille qui pourrait être tout aussi bien un lit bouleversé.

La compagnie reste fidèle au Pommier et à la Tarentule début 2008, et poursuit durant l’automne sur les rives du lac Léman en jouant à l’Odéon à Villeneuve.

Première mondiale > lire

La Cave Perdue participe à la lecture planétaire organisée pour le centième anniversaire de la naissance d'Annemarie Schwarzenbach. Elle réalise, en première mondiale, une lecture de sa pièce de théâtre inédite « Cromwell », traduite pour l'occasion par Enrico Valsangiacomo.

De la légèreté > lire

Le quatrième spectacle est porté par sept comédiens [4] et la mise en scène est assurée par Nathalie Sandoz. Elle les guidera tout en douceur dans une quête ouverte, participative, mettant à profit le lâcher-prise et la détente du corps.

La troupe nourrissait depuis quelque temps le désir d’explorer un théâtre tous publics. Ce sera « Marie des Grenouilles » de Jean-Claude Grumberg : un véritable détournement de conte de fées. Cette histoire déjantée est habitée par un roi qui se meurt, des grenouilles, des princes, des princesses, et tout et tout. L’héroïne s'aperçoit très vite que tous les princes ne sont pas si charmants que ça, et qu'il faut parfois se battre contre les idées reçue pour vivre dans un monde meilleur. Le texte est haut en couleurs, rempli de jeux de mots et de situations cocasses, tout en amenant une réflexion humaniste.

Le spectacle a enchanté petits et grands à la Tarentule en 2009, et a éte repris à l’Odéon (Villeneuve) et au Pommier en 2010.

De la simplicité > lire

Poursuivant leur quête de renouveau, la compagnie entame sa nouvelle saison à quatre comédiens [5]. Une envie de simplicité s’impose rapidement tant au niveau du décor que du jeu. La Cave Perdue fait alors appel à Stéphanie Majors, comédienne et metteuse en scène professionnelle pour les guider dans deux textes du répertoire classique. Du Molière donc ! Comment s’attaquer à un tel monument et rechercher la simplicité ? La compagnie opte pour un décor unique. Les accessoires interchangeables distinguent et caractérisent les personnages : l’on est proche de la créativité enfantine où un monde s’invente avec deux bouts de chiffon. Le plaisir est au rendez-vous et les comédiens s’amusent des situations cocasses se délectant des vers et de la prose utilisés par Molière pour malmener la jalousie, thème central des deux pièces.

De l'exigence > lire

Pour son 6ème spectacle, la compagnie a eu envie d'explorer un nouveau terreau théâtral et a choisi Matthieu Béguelin, comédien et metteur en scène professionnel. Rassembleur et aimant ses acteurs, il les conduit en douceur et avec humanité au-devant d'un texte. « L'homme qui », tiré de l'ouvrage d'Oliver Sacks dépeint des personnes atteintes de troubles neurologiques qui mènent de tragiques batailles intérieures pour assurer leur survie personnelle. Un travail exigeant, couronné de trois prix dont deux d'interprétation au festival international de théâtre amateur de Friscènes à Fribourg en octobre 2012 : « meilleure actrice » pour Annick Cheyrou, « meilleur acteur » pour Enrique Medrano et prix de la meilleure pièce. [6]

Du rythme > lire

Pour son 7ème spectacle, la compagnie a voulu continuer le travail amorcé sur le clown et a fait à nouveau appel à Matthieu Béguelin pour monter « Tailleur pour Dames » de Georges Feydeau. Un travail d'horloger a donc commencé pour trouver le bon rythme, ciseler le texte pour servir un but : le rire. Les situations chez Feydeau font rire mais le rire passe avant tout par le rythme. Tout est question de tempo, d'exigence. Comique de situation où le docteur Moulineaux mouline pour tenter de sauver son mariage mis en péril par une nuit passée à la belle étoile. Chaque personnage participe à cette fine mécanique bien huilée qui va compliquer l'existence du personnage principal. [7]

De l'intimité > lire

Le texte de Marie Laberge « Oublier » s'est imposé à la troupe et à la metteuse en scène Natacha Kmarin comme une évidence. Les comédiens se sont embarqués avec enthousiasme dans ce huit clos familial où 4 sœurs et un homme de passage se retrouvent le temps d'un weekend dans la maison de leur enfance afin de raconter une histoire commune pourtant si différemment vécue. Plonger dans l'intime, ciseler les caractères forts de chaque membre de la famille, confronter leurs modes de défenses, dévoiler les failles, l'amour et la souffrance tout en sobriété (jusqu'au petit matin).[8]

De la précision > lire

Pour son 9ème spectacle, la compagnie avait très envie de travailler avec le metteur en scène Samuel Grilli. Les comédiens se sont lancés avec enthousiasme et confiance à la découverte d'une des premières œuvres dramatiques de l'histoire du théâtre : « Electre » de Sophocle. Avec une intelligence, une sensibilité scénique ainsi qu'une direction d'acteurs attentive, Samuel Grilli a su ciseler le texte, décortiquer les enjeux, les rapports de force afin de rendre « Electre » accessible à un public contemporain.[9]

Entre ombre et lumière > lire

Pour son dixième spectacle, les 5 comédiens de la compagnie ont choisi : « La petite pièce en haut de l'escalier » de Carole Fréchette et s'associent pour la deuxième fois à la complicité de la metteuse en scène Natacha Kmarin. Le texte énigmatique emmène le spectateur dans une quête entre rêve et réalité. Dans la grande maison de Grâce, les personnages se côtoient, se frôlent s'observent et la lumière est convoquée comme un personnage à part entière. Le texte met à jour la part d'ombre de tout un chacun : leurs peurs, leurs secrets et leurs ambitions.[10]

De la folie > lire

Les comédiens se sont alors mis au service de l'âne, du chien, du chat et du coq pour cette folle aventure très humaine. L'écoute, la précision et le plaisir de partager telles ont été les pistes de travail. De son côté, telle une cheffe d'orchestre, la narratrice met en scène les figurines et le décor. Elle manipule les comédiens-animaux tout en finesse.[11]

Du questionnement > lire

Pour son douzième spectacle, la compagnie s'est plongée dans l'intimité d'une jeune femme un peu « dérangée » et de son entourage. Tout en pudeur mais sans filtre, l'univers de Dora est dévoilé mettant à jour les questionnements et faiblesses de chacun. Le metteur en scène, Denis Perrinjaquet, a su nous plonger dans un huis-clos sensible sans fard où la crue réalité nous fait nous regarder comme dans un miroir..[12]

De la persévérance > lire

Il en a fallu aux quatre comédiens de la compagnie ainsi qu'une bonne dose d’énergie pour mener à bien cette création durant plus de deux ans, en pleine pandémie. Associé à ce projet, la rencontre avec le musicien professionnel Julien Monti a été un cadeau. Il a su créer un univers sonore captivant pour accompagner cette histoire sordide tirée d’un fait divers bien réel.[13]

Se trouver > lire

La Cave Perdue a ainsi tissé son caractère au cours des ans, à travers des rencontres marquantes, des textes originaux et un travail continu. Ses membres, au fil de leurs vies professionnelles et privées, la rejoignent, prennent du recul, marquent une pause, y reviennent. La compagnie n’a pas fini de jouer avec les frontières, pour se faire plaisir et surtout partager sa passion du théâtre avec tous les publics.



[1] Lambro Bourodimos, Aline Bruillard, Vincent Cavaleri, Eric Fragnière, Enrique Medrano, Aline Michaud, Stéphanie Mury, Aline Pellaton, Marie Philippe, Martine Salomon, Deborah Salvi et Patrizia Viccaro.
[2] Aline Bruillard, Vincent Cavaleri, Eric Fragnière, Marie Philippe, Martine Salomon et Patrizia Viccaro.
[3] Lambro Bourodimos, Vincent Cavaleri, Annick Cheyrou, Eric Fragnière, Marie-Jo Krumm, Enrique Medrano, Aline Michaud, Martine Salomon et Patrizia Viccaro.
[4] Lambro Bourodimos/Lucas Ballabene (reprise), Annick Cheyrou, Eric Fragnière, Marie-Jo Krumm, Enrique Medrano, Aline Michaud et Patrizia Viccaro/Stephanie Frochaux (reprise); reprise
[5] Annick Cheyrou, Laurence Fankhauser, Enrique Medrano et Aline Michaud.
[6] Annick Cheyrou, Laurence Fankhauser, Eric Fragnière, Enrique Medrano et Aline Michaud.
[7] Yves Bourquin, Laurence Fankhauser, Jean-Marie Fauché, Eric Fragnière, Marie-Jo Krumm, Enrique Medrano, Aline Michaud et Martine Salomon.
[8] Annick Cheyrou, Laurence Fankhauser, Eric Fragnière, Marie-Jo Krumm et Aline Michaud.
[9] Fred Chevalier, Annick Cheyrou, Laurence Fankhauser, Jean-Marie Fauché, Eric Fragnière, Stéphanie Frochaux, Marie-Jo Krumm, Aline Michaud et Michael Rué
[10] Annick Cheyrou, Laurence Fankhauser, Eric Fragnière, Marie-Jo Krumm et Aline Michaud
[11] Annick Cheyrou, Laurence Fankhauser, Jean-Marie Fauché, Eric Fragnière, Marie-Jo Krumm et Aline Michaud [12] Marc Civel, Laurence Fankhauser, Jean-Marie Fauché, Eric Fragnière, Marie-Jo Krumm, Nawshad Ladani et Aline Michaud [13] Laurence Fankhauser, Jean-Marie Fauché, Eric Fragnière, Aline Michaud et Julien Monti